Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Rappel. L’usologie se fonde sur le fait qu’on ne peut mettre en observation d’une manière rigoureuse (« scientifique ») que des façons de faire ou de se faire, des façons de faire usage de, des usages et rien d’autre. Ce qu’on dit « être », les faits eux-mêmes, résultent d’une construction, fait usage de.

Corollaire. Chaque usologie particulière, mise en observation de n’importe quoi - objet, matériau, « être » vivant, personne, concept, fantasme, chimère - appelle à mettre en observation le maximum de ce qui, à son propos, peut rigoureusement s’observer.

Application. Toute usologie au sens particulier (appliquée à un X) doit prendre en compte deux aspects absolument objectifs du X qui motive l’observation : 1. Ce sans quoi X ne saurait exister physiquement, et donc ce qu’il utilise, selon certaines formes ou modèles (où X est « sujet de l’action »), et 2. la façon dont on l’utilise (la « demande » qu’on en a, à laquelle il répond), sans laquelle il ne saurait non plus exister, en relation avec l’utilisation d’autres X (chacun d’eux venant ici en « complément de l’action »).

Ce dont X fait usage (cas « sujet ») anticipe sur la façon dont on l’utilise (cas « complément ») et celle-ci rétroagit sur les « intrants » du cas sujet. (¤)

La prévalence du conjectural. On ne peut vérifier en toute objectivité que des choses qui ont eu lieu ou continuent d’avoir lieu (« la science » y trouve son image de sérieux). Mais en toute rigueur usologique il nous faut ici distinguer entre ce dont cette vérification fait usage (donc de ce qui « entre » dans le cas sujet et dans le cas complément, leur anticipations et rétroactions) et l’usage ou ensemble d’usages sans le ou lesquels cette vérification n’aurait pas de « sens » (d’usage). Or cet ensemble ne fait ou ne peut faire cet usage que parce qu’il se fait constamment conjecturel (ou prospectif).

En d’autres termes : nous ne « chercherions pas » et n’aurions aucune raison de tenir la recherche toujours ouverte à la falsification des résultats si cette recherche ne se faisait de part en part conjecturante. Ou pour le dire autrement encore : « le réel » n’a d’usage qu’à condition de vérifier que nous sommes en capacité d’y conjecturer des changements.

Cette proposition vaut aussi bien pour ceux qui « croient » pouvoir définir les objets de savoir selon « leur nature » que pour ceux qui croient ne pouvoir les « définir » qu’en usage.

A peine les premiers ont-ils posé X comme « étant » qu’ils surveillent tout ce qui peut s’écarter de ce qu’il « est ». L’usage rigide, dogmatique, sécurisant, qu’ils en font, les met à l’affût de la moindre injure (non droit) à sa définition. Ce qu’ils ont posé comme « étant » conjecture sa répétition à l’identique. Ils se tiennent prêts à faire face à sa faillite et gardent ouverte plusieurs issues de secours, qui garantiront que malgré, tous les changements, derrière eux, des constantes demeurent. Quant à ceux qui se soucient moins de ce que sont les choses que des usages qu’elles font, ils conjecturent eux aussi, « parient » le retour de ces usages. Saisir le devenir en devenir, comme s’y exerce Montaigne (« je ne peins pas l’être mais le passage ») ne peut aller sans effectuer des stations, des étapes, sans programmer des retours.

Ce qui précède explique pourquoi nous ne pouvons envisager une usologie complète sans le troisième degré ou troisième critère, prospectif ou conjecturel et pourquoi nous l’avons dédoublé en: de quoi d’autre X peut-il faire usage? et quels autres usages pourraient en être faits ? Une mise en observation complète de X ne peut éviter d’interroger le ou les autrement faire dont X fait ou se fait (ex-« est ») le lieu, dans les positions sujet ou complément, et que ces modifications se fassent déterminer par des usagers (humains) ou tout autre cause.

Soulignons au passage que, quoique conjecturels, chacun de ces « autrement faire » se fait aussi réfutable que les informations recueillies dans les deux champs précédents.

Dans notre pratique spontanée ou savante, ce que, par commodité, nous qualifions de « troisième degré » de l’enquête usologique, prime.

Le motif de toute mise en observation et de toute décision a à faire avec les modifications qui peuvent intervenir dans ce qu’on fait, sait ou croit.

Illustration…

Le fabricant d’outilllage

Au siècle dernier, dans les années 50, G*, fabricant d’outillage, pour de triviales raisons de coûts, d’approvisionnement et de renouvellement de l’offre (faire « moderne »), a remplacé par du plastique le bois des manches de ses marteaux. Au niveau « de quoi un marteau fait-il usage » il a donc cherché de quoi d’autre les marteaux peuvent faire usage (cas prospectif « sujet »).

Le manche en plastique ne modifiait pas la définition du marteau, à savoir une certaine masse tenue par l’entremise d’un manche (donc distinct de ce manche, ce qui n’est pas le cas de la matraque). L’introduction du plastique a été l’occasion de quelques rappels au niveau des contraintes propres à cette définition, comme l’accrochage de la tête et la longueur du manche.

Passons sur les qualités techniques du plastique utilisé (élasticité requise). Etant coulé dans la fenêtre du fer, on a rendu impossible de désemmancher la tête. Le manche a été évasé à l’extrémité par laquelle il est tenu. On l’a allégé (il est creux) et rainuré, ce qui facilite la tenue et évite des cales aux débutants.

A ce premier niveau les contraintes propices à l’usage général dans lequel entrent tous les marteaux ont été prises en considération, comme l’allégement du poids du manche, l’amortissement des chocs au niveau des phalanges et du poignet, le risque que l’outil échappe à la main du fait de la fatigue ou de la transpiration. En cas sujet : de quoi ces contraintes positives font-elles usage.

L’introduction de plastique anticipait sur cet ensemble d’usages. Il anticipait aussi sur des contraintes sémiologiques propres à tous les outils (connotation laborieuse). De ces anticipations a résulté l’image ou design d’un marteau qui ne pouvait manquer d’être confrontée avec celles d’autres outils ou objets « modernes ». La nouvelle « ligne » (et la couleur !) du marteau à manche en plastique gratifie l’utilisateur, embellit la panoplie des « forces de frappe » au tableau des outils.

Même si elle n’a guère été approfondie, cette confrontation n’a pas manqué de rétroagir sur le projet. Ainsi à la dernière minute a-t-on eu l’idée de colorer les manches selon le poids des marteaux et de leur donner une « ligne » moins puritaine.

L’ensemble de signes dont « un marteau » est chargé aurait aussi bien pu rétroagir sur des manches mixtes de plastique et de tiges d’acier visibles, dont la flexibilité aurait augmenté d’une façon non négligeable la force du frappeur et même modifié son geste. L’histoire des marteaux ne s’est pas arrêtée avec les manches en plastique !

La fonction (l’utilité, l’usage) du marteau a été profondément affectée (renouvelée, déplacée) par l’entrée en force des perceuses et des marteaux électriques dans la panoplie des travailleurs. Le lancer du marteau ou du maillet tenu à bout de bras est de plus en plus souvent remplacé par une sorte de corps à corps avec des appareils comme des perceuses, qui intègrent couramment la percussion et le vissage à leurs fonctions.(¤)

G* n’en continue pas moins de « penser » (à) ce dont ses nouveaux appareils font usage et les conditions matérielles qui peuvent en améliorer l’usage et donc pour chacun d’eux, en « cas sujet » 1. ce qu’exige un mandrin adapté aussi bien à la rotation de mèches pour le fer ou le bois qu’à la percussion de ciseaux à bois, pics ou burins, 2. le voltage suffisant du moteur, qui ne « fatigue » pas de la même façon qu’un travailleur, 3. la résistance des plastiques dont la carène doit à la fois intégrer le moteur et la tenue de l’appareil, 4. l’application d’un index sur une gâchette réglant le voltage utilisé, 5. les boutons ou cliquets qui permettent de modifier et d’alterner rapidement la fonction de la machine (rotation/ percussion).

L’environnement d’usages a lui-même changé. L’atelier classique a fait place aux interventions sur des chantiers où les matériaux et les opérations se diversifient. G* doit désormais fournir à la fois des outils polyvalents et ultra spécialisés, des coffrets de transport, et mitonner des dates de garantie qui évitent de rembourser… L’écologie des outils, des matériaux, des gestes professionnels dont il fait actuellement commerce peut à tout moment envoyer au musée des outils, appareils et gestes professionnels qu’on crut indispensables. Les bricoleurs sont entrés en force dans le commerce de l’outillage où les présentoirs et les conseils des vendeurs jouent un rôle essentiel.

(¤) Attention à ne pas donner à anticipation ou rétroaction un caractère intentionnel. Cf. p. 32 et page suivante : les intentions semblent plus souvent « saisies » rétrospectivement que « mûrement réfléchies ».

(¤) Observations à verser dans le cas « complément ».

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :