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Usologie de « Dieu »

Bien qu’on puisse parler de Dieu, personne jamais ne l’observa. Si la chose se produisait, on n’aurait aucune raison de croire en lui. Mais quoique Dieu ne puisse s’observer, ce que son concept utilise - dont il fait usage - et les usages qui en sont faits peuvent très bien, eux, se mettre en observation.

  1. De quoi « Dieu » fait-il usage?

    Dans ce dont « il » fait usage entrent en tout premier lieu des capacités ou qualités qui manquent aux humains, relatives à la durée, à l’intangibilité, la toute-puissance et l’imprévisibilité. En ce sens « il » se construit en négatif de l’homme. « Il » fait usage d’une psychologie complexe, où on retrouve en plus appuyés tous les traits de l’humain, certains redoutables (jalousie, colère, vengeance, donnant-donnant), d’autres inspirant la confiance (pitié, bonté, pardon, attachement aux « justes », intelligence des intentions). Voltaire : « Dieu a créé l’homme, mais l’homme le lui a bien rendu ».

    Le contenu d’une représentation varie selon l’usage qu’en font les usagers, en fonction de leur âge et de la dépendance des âges au milieu (ce qui introduit déjà au second point de l’analyse).

    On ne construit pas Dieu avec les mêmes matériaux à 7 ou quinze ans d’âge mental. Un nouveau-né ne peut refuser le baptême ni la circoncision, ni de recevoir une éducation religieuse que l’adulte se trouve encore souvent mis en demeure de dispenser.

    Parmi les questions qu’on peut poser à ce niveau : que faut-il utiliser pour persuader qu’il existe, à l’origine de toutes choses, un Créateur? Comment le rend-on accessible aux enfants, aux foules ? Le « Dieu des philosophes », celui « du charbonnier » et celui des mystiques ne font pas usage des mêmes « entrées ».

  2. Dans quel environnement d’usages...

En toute rigueur, chaque motif utilisé pour construire ou communiquer « Dieu » doit lui-même faire l’objet d’une usologie déterminant ce dont ce motif fait usage et l’environnement dans lequel il entre et qui le sollicite. On distinguera ainsi plus finement l’originalité du rapport à « Dieu » aussi bien dans telle religion que tel cas d’athéisme (dont il y en a quasiment autant que d’ « athées »).

Dans une usologie comme celle de « Dieu » plus encore peut-être que dans tout autre, il est difficile de disjoindre ce dont ce qu’on observe fait usage des usages qui en sont faits.

Parmi les questions posées à ce niveau : comment historiquement le concept « Dieu » s’est-il construit? (**) Dans la gamme des articles proches

ou concurrents - esprits, fées, puissances... - destinés à soulager, expliquer, les mystères, les souffrances, « pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien », comment se situe, quelle place occupe « Dieu »? En fonction de quels critères - politiques? ethniques? logiques? - l’aire occupée par une religion s’étend ou se rétrécit-elle ?

Ce qui entre dans la notion de Dieu anticipe sur l’organisation sociale et celle-ci rétroagit sur ce qui y entre. Schématiquement, au Dieu jaloux et directif correspondrait le Souverain, ou l’Etat à qui rien n’échappe et qui se targue d’appliquer « Sa » loi (roi de droit divin, charia). Au Dieu bienveillant, qui vous remet d’avance tous vos péchés et vous accompagne dans les risques auxquels vos entreprises sont soumises, l’Etat dit libéral. Au Dieu déconnecté des affaires publiques, dont l’usage appartient à chacun, l’Etat laïque, qui dans certains cas remplacer la fonction occupée par « Dieu » par celle, tout aussi mystérieuse, du « Peuple », dont les avis sont sollicités par les agents d’une prêtrise renouvelée de l’ancienne par le biais douteux de leur « élection ».

Des usologies séparées de ces correspondances restent à faire.

Spontanément pratiquée(¤), l’usologie de Dieu, est à l’origine de la défense de la laïcité. Ce qui entrait dans les usages des autres peuples a éveillé (cf. l’argumentaire constant de Montaigne) à ce que les opinions et croyances devaient à l’histoire, aux circonstances. Dans le domaine de la croyance en Dieu comme dans les autres, elle a rapproché les usagers en leur rappelant qu’ils participaient de bassins d’usages, historiquement construit, et que ces bassins n’avaient rien de certain ou définitif, ni pour eux ni pour personne.

Les problèmes soulevés par l’instauration de la laïcité n’étaient pas seulement liés à ses retombées morales (« si Dieu n’existe pas, tout est permis »). « Dieu » était l’enseigne de professionnels dont les services ne pouvaient s’exercer sans une certaine rémunération, que ce soit de la part des fidèles d’une religion, ou de l’Etat, qui trouvait son compte à la direction des consciences.(¤¤)

Dans l’Europe du XVIe siècle, l’opposition des Réformés à cette professionnalisation a soulevé l’émotion. Elle a été par la suite compensée par la création d’un corps pastoral et d’institutions qui ont un caractère généralement fédéral et non pyramidal, comme dans le catholicisme, mais n’en sont pas moins soumises à des impératifs monétaires qui les adossent par force à la condition commune de n’importe quelle entreprise commerciale.

Que l’« offre » ecclésiale ne fasse plus recette (« ne nourrisse plus son prêtre ») explique en partie la désaffection des jeunes pour la profession et que la croyance en Dieu ne se fasse plus réensemencer (il y a cercle). Apparaît bien ici comment ce dont « Dieu » fait usage a anticipé sur son usage professionnel-monétaire dans le cadre bien défini d’une religion, et la rétroaction de celle-ci sur la communication du concept de « Dieu ».

Que l’offre ecclésiale ne fasse plus recette s’explique aussi par le fait que l’Eglise et ses prêtres (du fait qu’ils étaient relativement protégés) ne prêtaient que très exceptionnellement attention aux causes concrètes de la misère (économique ou sexuelle) et renvoyaient aux individus le soin de la gérer « en conscience ».(¤) Quand les prêtres ouvriers ont tenté de rétroagir sur l’entrée dans la croyance en Dieu, ils se sont trouvés en porte à faux avec l’institution centrale dont le pouvoir ne perdure qu’en faisant allégeance à l’ordre établi. Cet ordre n’est certes plus considéré comme la volonté de Dieu, mais il reste un fait dont la tolérance ou le soutien, même sous réserve, en appelle aux ressources spécifiques (« chrétiennes ») du « croyant ».

Nous ne pouvons ici qu’esquisser à grands traits. Chaque points et même certains mots (« rapprochaient », « essayaient », « direction des consciences ») pourrait faire l’objet d’une usologie particulière qui enrichirait le sujet.

3. Changements susceptibles d’intervenir dans les deux approches précédentes et les anticipations et rétroactions auxquelles elles donnent lieu…

L’usage social qui aujourd’hui encore est fait de « Dieu » oblige les usagers, tout au long de leur existence, à s’affirmer comme « croyants » ou non, comme étant de telle ou telle obédience religieuse, comme refusant toute obédience ou comme n’étant d’aucune et qui vont s’étonnant que d’autres se posent « encore » des questions à ce sujet.

La façon dont nous usons de ce rapport à Dieu depuis que nous en entendons parler et y croyons, n’y croyons plus ou n’y avons jamais cru n’a cessé de changer et la présente usologie participe du reste elle aussi à ce changement.

- a. en position sujet : de quoi d’autre « Dieu » peut-il faire usage ?

Sous nos latitudes, dans le bassin du Livre, on peut s’attendre à de nouvelles formes de foi : à de nouvelles façons d’expliquer l’absence d’explication et de renchérir sur Job (quoi qu’il arrive, que ça me semble juste ou non, Dieu le veut), de l’inventer impromptu dans la douleur (pourquoi ? qu’ai-je donc fait ?), la joie (merci), ou d’appeler son attention par des sacrifices, cierges, lumières, disposition d’objets, dessins. De nouvelles formes de miracles, couverts par « des scientifiques », sont également à prévoir.

Le concept de « seul dieu », qui entre dans le concept de « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » peut s’affaiblir au point de laisser l’espace religieux à nouveau occupé par le polythéisme. Les religions du Livre n’ont jamais totalement exclu le recours à la magie ou des rituels parallèles (Satan), ni empêché l’astrologie, ni de prêter des pouvoirs à des agents matériels et spirituels (pierres, fétiches).

L’usologie de recours de ce type, actuels ou potentiels, enrichira les observations faites au niveau de ce qui « entre » dans le concept de Dieu.

- b. en position complément : quels changements de conjoncture peuvent repousser ou ranimer la croyance en Dieu ?

On a déjà observé comment le partage d’une même religion (l’usage qui en est fait), dans un bassin d’usages, étroitement territorialisés ou portés par une communauté, pouvait s’interrompre pour des motifs apparemment sans rapport avec le contenu même de la croyance. Les fins de semaines passées en auto ou au stade, par exemple, ont réduit l’assistance aux offices dominicaux. Dans la mesure où le concept de « Dieu » s’environnemente d’une religion, cette discrétion n’aide pas à le conserver, sous sa forme classique en tout cas. Le lien social créé par certaines émissions journalières de télévision semble devenu plus fort que chanter en chœur des cantiques une fois par semaine dans un lieu privilégié.

Privés de la régie religieuse de Dieu, les usages relatifs au sexe, à la patrie, à l’argent, au système politique, à l’art, évoluent d’une manière qui aurait paru anarchique aux générations qui nous ont précédés. Ces changements ou possibilités de changements nous en apprennent davantage sur ce qui entre dans le concept de « Dieu » (comptable, moral) que les informations objectives fournies par les deux premiers points.

Les théologiens ont déjà donné de « Dieu » de multiples interprétations, liées à l’environnement politique ou conceptuel. L’usage « théologique » de Dieu n’est certainement pas clos.

Dans l’environnement particulier du XVIIe, Spinoza (« Dieu ou la Nature ») osa un pont entre deux entités hétérogènes : Dieu, qui ne peut être observé et la Nature qui peut l’être de plus en plus finement. En dépit du « ou » qui les met sur le même plan, les deux usages « théologique » et « naturel » ne se superposent jamais exactement. On remarquera par ailleurs que « Dieu » comme « la Nature » font tous deux usage d’un schème d’intentionnalité. Jusque dans les plus petites choses, l’idée d’une intention, d’un « voulu » supposé rationnel de l’ordre du monde (où le rationnel ne peut se faire que « voulu ») n’est jamais totalement absents des enquêtes « 100% scientifiques ». On a du mal à expliquer les choses par le hasard, et le faire revient encore à produire une raison dont l’absence de raison, qui connote le mystère, rouvre tout un ciel…

L’environnement résultant des deux crises, économique et écologique, des thèmes récurrents comme la fin du monde ou l’existence d’extra-terrestres, ont déjà des incidences sur ce qui entre dans le concept de « Dieu ». La recherche de « causes cachées » (qui se rejoignent sur le versant « Dieu ») continue, en grande partie nourrie par celle des « choses cachées » dans ou derrière les connaissances que nous avons (versant « Nature »), de faits dont l’usologie, comme celle des miracles, vaut le détour.

Car un « fait », quel qu’il soit, ne se fait-il pas toujours « miraculeux » ? Traduit en termes usologiques : ne fait-il pas toujours usage d’une attente enfin comblée, au moment où on l’attendait le moins ?(¤) Euréka ! J’ai trouvé ! C’est ça ! C’était donc ça…!

Pourquoi y aurait-il matière à rire des faits sur lesquels les croyants brodent leurs croyances et pas de ceux sur lesquels les chercheurs réputés sérieux brodent leurs théories ? N’y a-t-il pas au contraire matière à s’attendrir sur ces « faits » qui surgissent comme autant de contraintes à travers lesquelles ou grâce auxquelles nous nous orientons ? Et n’est-ce pas là le gros secret d’une « spiritualité » de tous les instants, de toutes les entreprises, scientifiques comprises, et dont l’usologie reste à faire, sous le titre les dieux sont dans la cuisine ?

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